France Musique – Enregistrer Beethoven en 2019 : quels sont les défis ?

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L’ensemble allemand de musique baroque Freiburger Barockorchester enregistre à Berlin la 9e symphonie et la Fantaisie chorale de Beethoven pour marquer le 250e anniversaire de la naissance du compositeur allemand.

A une dizaine de kilomètres du centre de Berlin, le studio Teldex résonne des musiques de Beethoven depuis plusieurs jours… A l’intérieur, l’ensemble allemand Freiburger Barockorchester suit les indications du chef d’orchestre Pablo Heras Casado, et pour cause : c’est la première fois que l’orchestre et le chef jouent ces deux oeuvre de Beethoven : la 9e symphonie et la Fantaisie chorale.

Un alliage voulu par le chef espagnol : « La Fantaisie chorale est comme une esquisse, une préparation des idées que Beethoven va développer d’une façon beaucoup plus complexe dans sa 9e symphonie. Je crois que pour le disque, c’est une combinaison parfaite et une déclaration artistique très forte. »

L’enregistrement sortira en 2020, année du 250e anniversaire du compositeur allemand, dans le cadre d’une édition du label Harmonia Mundi consacrée à Beethoven, avec toutes ses symphonies enregistrées avec des ensembles (et des chefs) différents.

Enregistrer une oeuvre aussi célèbre demande des oreilles expertes, et c’est à Martin Sauer que la mission a été confiée. Le producteur allemand possède à son actif quelques-uns des plus grands enregistrements de disques classiques des dernières décennies.

Casque sur les oreilles, partition sous les yeux, il veille au bon déroulement de l’enregistrement, et va même plus loin : « Je suis un partenaire des musiciens, une paire d’oreilles qui les conseille. Il est quand même très utile pour eux et pour le chef d’avoir un élément extérieur qui peut donner son avis, s’exprimer sur des choses que dans la salle et dans le feu de l’action au milieu de 100 musiciens, on a peut-être un peu de mal à juger. Je ne veux pas vraiment influencer le résultat musical, mais parfois j’exprime mes idées aussi. »

L’enregistrement d’un disque classique relève du travail de fourmi. Un passage peut être répété des dizaines de fois pour obtenir le résultat voulu. Mais pour Pablo Heras Casado, cela n’enlève rien à la spontanéité qu’il souhaite insuffler dans la musique : « Depuis 7 ou 8 ans que je fais des enregistrements, je découvre à chaque fois le plaisir du processus : l’hyper concentration sur un détail, la recherche de la perfection. Et en même temps, à chaque répétition, il faut que ce soit excitant, puissant et surtout spontané. »

Pour le producteur Martin Sauer, « la perfection musicale n’existe pas ». Bien sûr qu’il faut insister sur les détails, mais pour lui il faut aussi à un moment donné « savoir lâcher ». Et c’est souvent son rôle : cadrer l’enregistrement et veiller à son bon déroulement pour permettre à l’ensemble des protagonistes d’avancer. Souvent, dans sa régie, il reçoit le chef ou les solistes après une prise pour faire écouter le résultat et en discuter.

Ce lundi 25 novembre, c’est le pianiste Kristian Bezuidenhout qui va passer du temps avec Martin Sauer. Il vient de finir d’enregistrer les parties solistes de la Fantaisie chorale de Beethoven avec l’orchestre, dernière ligne droite avant de laisser son projet entre les mains du producteur pour le montage. Perfectionniste, le musicien met la barre haut, notamment parce qu’il écoute (parfois trop selon lui) certains enregistrements de référence : « Quand j’arrive dans le studio et que je dois jouer, j’essaye toujours de me dire : écoute, si on doit enregistrer ça, essayons de le faire au moins aussi bien si ce n’est mieux que tous les enregistrements que j’aime et admire… Sinon : à quoi bon ? »

En tête des enregistrements coups de cœur de cette Fantaisie chorale, celui réalisé par John Eliot Gardiner avec le pianiste Robert Levin en 1999. « Ce fut une révélation pour cette oeuvre. Je trouve que tous les rôles sont très clairs : la fantaisie ressemble vraiment à une fantaisie, le chœur chante comme si leur vie en dépendait… Je pense qu’il faut trouver la bonne attitude par rapport à cette oeuvre sinon, l’audience risque de ne pas comprendre le message. »

C’est tout le génie de Beethoven : personne ne s’attendait à rien avec cette oeuvre, mais encore moins à entendre cette introduction.

Ce message troublant, on peut en partie le décrypter en remontant le temps… 22 décembre 1808, un grand concert a lieu au Théâtre an der Wien (à Vienne). Beethoven y joue ses 5e et 6e symphonies pour la première fois, accompagnées par cette curieuse Symphonie chorale.  « Je pense que Beethoven tentait alors de plonger le public dans une ambiance, commente le pianiste. Mais tandis que le chœur et l’orchestre se tiennent là, il fait débuter le concert avec ces 3 minutes de piano solo ! Le public doit alors se dire : “Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce encore une de ses fantaisies ?” C’est tout le génie de Beethoven : personne ne s’attendait à rien avec cette oeuvre, mais encore moins à entendre cette introduction ». 

Derrière son piano d’époque, Kristian Bezuidenhout tente de retrouver la même spontanéité qui guide le chef d’orchestre Pablo Heras Casado, malgré les multiples prises, malgré la fatigue de journées d’enregistrements qui souvent commencent tôt et finissent tard… La fantaisie chorale est en boîte, reste encore le dernier mouvement de la 9e à enregistrer avec les solistes Christiane Karg, Sophie Harmsen, Werner Güra et Florian Boescher, puis Martin Sauer pourra passer au montage, étape ultime avant la sortie du disque, prévue pour l’été 2020.