Le Devoir: Heras-Casado, le grand alchimiste

Le Devoir

Si Pablo Heras-Casado acceptait un jour la direction musicale de l’OSM, on lui connaîtrait d’emblée une qualité : il n’est pas rancunier. Ce très grand chef s’est en effet donné beaucoup de mal pour diriger dans un véritable sanatorium. Dire qu’une frange non négligeable du public, en perturbant le concert à des moments cruciaux, voire magiques, par des toux, discussions à mi-voix et autres sonneries de téléphone (dans la partie la plus subtile de la préparation de la coda de Tchaïkovski), s’est montrée indigne du talent de ce musicien est une litote.

Parmi les divers chefs ciblés dans le processus de recherche, Pablo Heras-Casado est celui qui a, médiatiquement et internationalement, le profil le plus prestigieux ou convoité, notamment parce qu’il est à même de diriger des orchestres symphoniques prestigieux comme des ensembles sur instruments anciens tel l’Orchestre baroque de Fribourg. En matière de palette artistique et de pluralité des talents, on se situe par exemple facilement deux divisions au-dessus d’un Vasily Petrenko, le chouchou à l’époque où nous étions privés de chefs invités de haut calibre. La grosse crainte, en voyant, à la publication du programme, il y a 14 mois, qu’il ne viendrait qu’en mai 2019 était qu’il soit déjà engagé par un autre orchestre à ce moment-là. Ce n’est pas le cas.

Essai concluant

Puisque nous en sommes à une comparaison avec Vasily Petrenko, excellent chef, mais dans un répertoire bien plus limité, Pablo Heras-Casado ajoute une autre qualité : celle d’accompagnateur de grand talent. Le violoncelliste surdoué Edgar Moreau était visiblement aux anges après son très subtil et même infinitésimal Tout un monde lointain… encore plus rêveur (Regards, Miroirs) que la version de Truls Mørk que Dutilleux lui-même me disait tant aimer. Cette interprétation a été sertie à l’avenant par Heras-Casado, qui avait donné des gages d’alchimiste dans de superlatifs Nuages, dans lesquels on ne regrettait que l’absence de Theodor Baskin au hautbois, afin de traduire encore mieux le caractère « expressif » demandé. Fort différente de l’interprétation de Kent Nagano, Fêtesgarde dans sa section centrale (la marche) le caractère modéré, sculpté à l’aide de nuances très justes.

Mais Pablo Heras-Casado avait visiblement réservé son meilleur atout pour la deuxième partie avec Rêves d’hiver. À la première accélération, la même sensation qu’avec Alain Altinoglu nous saisit : l’orchestre est, en enthousiasme, un peu à la traîne du chef, qui irait, lui, encore plus loin, encore plus vite et encore plus fort.

Cette 1re de Tchaïkovski fut splendide : mouvante dès le début, avec une vraie atmosphère lugubre désolée au début du dernier volet, des cors somptueux et un Theodor Baskin revenu dans le 2e mouvement, une exaltation finale, mais jamais pompière, une valse bien croquée dans le trio du 3e mouvement.

La seule remarque que l’on peut faire est que Pablo Heras-Casado a pris pour argent comptant la « disposition Nagano » de l’orchestre et ne l’a pas remise en cause, contrairement à Rafael Payare dans l’Héroïque, par exemple. De fait, le manque de mise en valeur des graves, dû à l’acoustique de la salle, apparaissait nettement dès le 1er mouvement.

Essais très concluants, évidemment. Reste à savoir si Montréal intéresse un chef pareil, que les dernières rumeurs en date envoyaient plutôt à l’Orchestre de Paris.

«Rêves d’hiver» de Tchaïkovski

Debussy ; «Nuages et Fêtes» (extr. de «Nocturnes»). Dutilleux : «Tout un monde lointain…» Tchaïkovski : Symphonie n° 1, «Rêves d’hiver». Edgar Moreau (violoncelle), Orchestre symphonique de Montréal, Pablo Heras-Casado. Maison symphonique de Montréal, mercredi 8 mai. Reprise ce soir.